Emancipation et souveraineté l’étonnant modèle iranien de résilience et de développement

Le 1er février 1979, le jet de l’Ayatollah Khomeini atterrit à Téhéran en provenance de Paris. La Révolution Populaire iranienne est alors en pleine effervescence. Le 11 février 1979, le Shah est renversé. La République islamique d’Iran est proclamée, le 1er avril 1979 et en décembre l’Ayatollah Khomeini est investi en tant que Guide Suprême de la Révolution. Mais auparavant, le 4 novembre 1979, des étudiants iraniens investissent l’Ambassade des USA et détiennent 52 citoyens américains en otage. La crise dure 444 jours, et le 20 janvier 1981, tous les otages sont libérés.

Cependant, dès 1979, en réponse à la prise des otages américains, les USA et le reste du monde décrètent un embargo total sur l’Iran.

Quarante-cinq ans plus tard, fatalement, on s’attendrait à un effondrement de l’Iran plié sous le poids de l’embargo; de penser que les quatre-vingt-neuf millions d’habitants constitueraient la majorité des migrants voguant sur l’Atlantique et la Méditerranée, sans boussole, vers les rivages de l’Europe en quête d’un mieux-être.

Une visite de ce pays effectuée du 27 avril au 2 mai 2024, à la faveur de IranExpo24 dans l’espoir de rencontrer la “business community” locale et les investisseurs étrangers, nous permet d’y répondre. Le jeu en valait la chandelle. J’y ai découvert un Iran résilient. Les signaux observés de l’Iran ne nous semblent pas être ceux d’une nation figée dans son développement: un pays décadent et encore moins en ruine.

Pour comprendre cette capacité de résilience, je me suis interrogé sur le modèle iranien. L’Iran est un pays dont plus de 60 % de la population a moins de 30 ans. Son produit intérieur brut (PIB) qui s’élève à 464,12 milliards de dollars des Etats-Unis le classe au 34e rang mondial. Son PIB/habitant, de l’ordre de 5 310 dollars US, est plus élevé que celui de nombreuses nations qui sont même plus nanties que l’Iran en ressources naturelles. Par ailleurs, l’Iran repose sur la troisième plus grande réserve prouvée d’hydrocarbures, et est classé 2e pays en termes de fourniture de gaz. La Bourse des valeurs, avec plus de 40 industries listées, a été l’une des plus performantes, ces dix dernières années. Enfin, à l’exception des Etats-Unis et de la Grande Bretagne, l’Iran maintient des relations commerciales avec les plus grandes économies du monde. La Chine se taille la part du lion avec plus de 30 % des volumes des échanges.  L’Iran m’est apparu comme un pays perpétuellement en chantier et qui se développe avec des ressources humaines compétentes.

Ces caractéristiques de résilience et de travailleurs de la population iranienne seraient-elles la résultante de la combinaison de facteurs historico-géographiques ou d’autres traits qui expliqueraient les indicateurs socio-économiques auxquels nous avons fait référence plus haut? Quel serait donc le secret de ce pays fascinant qui a su capitaliser ses atouts pour ne pas se désintégrer après quarante-cinq ans sous embargo total? Nous avons alors écouté des industriels, des fonctionnaires, des étudiants, des citoyens ordinaires et des investisseurs étrangers. De nos échanges, il ressort que cette résilience n’est ni le fait de son histoire, ni celui de son positionnement géographique, ni la résultante de circonstances exceptionnelles, encore moins le fait du hasard.

En fin de compte, la résilience iranienne dans la réalisation de ses prouesses économiques malgré l’embargo réside dans un changement de mindset qui repose sur trois points, à savoir:

  • Un mindset (état d’esprit) positif,
  • Un système éducatif adapté et dynamique, et
  • Une valorisation du travail et des partenariats productifs.

UN MINDSET (ETAT D’ESPRIT) POSITIF

 

Les Iraniens ont très vite adopté une attitude mentale libérée de tout complexe. Ils ont pris conscience que l’heure n’était plus ni aux récriminations, ni aux plaintes stériles. La recherche de boucs émissaires (l’embargo, l’occident, etc.) à blâmer n’était pas à l’ordre du jour.

Les Iraniens se sont approprié leur développement, à savoir: un développement pour eux-mêmes, par eux-mêmes et avec eux-mêmes. Dès cet instant, les marqueurs sont évidents et la finalité connue de tous. Cette approche a créé une véritable dynamique de consensus qui, il faut le souligner, a été facilitée par un fait cultuel très important: l’adhésion d’une forte majorité de la population à l’Islam chiite, dont l’Ayatollah était le Guide Suprême de la Révolution, une position au-dessus de celle du Président de la République.

Une fois ce cadre opérationnel internalisé, une référence rapide à l’histoire s’est avérée un puissant déterminant dans la marche vers le progrès. Les Iraniens se sont résolument tournés vers le futur avec un défi à relever. Le mindset était que, « si nous avons été le berceau de la civilisation et que nous avons connu un rayonnement mondial depuis le 6th siècle avant JC sous Cyrus le Grand d’abord et, ensuite, Alexandre le Grand, dans des domaines aussi variés que la littérature, la philosophie, les mathématiques, la médecine et l’astronomie, nous ne pouvons que progresser par le travail ».

Les Iraniens se sont ainsi livrés à une profonde introspection et ont décidé de capitaliser sur leurs avantages comparatifs. C’est un pays à cheval sur deux continents (l’Asie occidentale et le Moyen-Orient). Il partage ses frontières avec l’Irak, la Turquie, la Mer caspienne et cinq (5) pays asiatiques (Afghanistan, Arménie, Azerbaïdjan, Pakistan et le Turkménistan). Il fait face à l’Arabie Saoudite, le Koweït, le Qatar et les Emirats Arabes Unis à travers le Golfe persique, et le Sultanat d’Oman à travers le Golfe d’Oman.

Fort de tels avantages, le pays a compris qu’il ne devrait pas vivre en autarcie. Dès lors, une véritable diplomatie économique d’ouverture sur les voisins s’est développée à travers les échanges commerciaux dans tous les domaines.

L’Iran a ainsi développé son agriculture pour répondre aux besoins de ses voisins dont la plupart sont, soit des territoires désertiques tributaires des importations de céréales et d’autres produits agricoles de première nécessité, soit d’anciennes républiques de l’ex-Union Soviétique, et déficitaires sur le plan agricole. Le pari s’est avéré payant. Le secteur agricole iranien est aujourd’hui très efficace, aux normes internationales. Il nourrit sa population et exporte massivement dans sa région et en Asie.

Le même mindset a été appliqué à l’industrie de la sidérurgie, aux hydrocarbures, aux produits phytosanitaires, aux engrais et aux services. L’Iran exporte de l’acier vers le Japon, le Pakistan, etc.

SYSTEME EDUCATIF ADAPTE ET DYNAMIQUE

 

Une référence rapide à l’histoire s’est avérée, une fois de plus, une stratégie gagnante. Les Iraniens ont compris que leur développement futur repose sur des capacités humaines bien formées et compétentes. L’investissement massif dans l’éducation dans le respect de l’équité (l’ethnie, le genre, la région, la religion, etc.) était nécessaire pour combler le fossé créé par le retrait brutal et soudain des partenaires.

Les investissements dans ce secteur ont été ciblés en donnant la priorité à l’enseignement technique avec un focus sur les filières d’ingénierie, médicales et sciences. Cela a permis une valorisation rapide des ressources naturelles, extractives et agricoles du pays. La programmation de l’éducation a également tenu compte de ce qui était pertinent pour le pays et qui s’inscrivait dans sa vision de développement. Les Iraniens ont ainsi développé des partenariats avec des universités et centres d’études étrangers et ont formé une masse critique locale de main-d’œuvre pour répondre aux besoins du marché. Le secteur de la construction a été un des plus grands bénéficiaires avec les hôpitaux, les universités, les infrastructures, etc. La ville de Téhéran est coquette et moderne, elle fait rêver! L’aéroport Imam Khomeiny de Téhéran depuis 2007 est moderne, propre et reste un hub aéroportuaire incontournable en Asie et au Moyen-Orient.

Les Universités iraniennes travaillent en collaboration avec de grandes Universités étrangères et attirent de nombreux étudiants non iraniens. Le système éducatif ne discrimine pas contre les filles et les minorités. L’éducation est un droit et elle est fortement encouragée. Une passerelle dynamique a été établie entre le secteur réel dans l’industrie et la formation.  Les universités et l’industrie travaillent en symbiose pour adapter la formation aux besoins du marché.

La part des investissements publics dans les systèmes éducatifs et sanitaires est substantielle. L’Iran est classé 78e mondial pour les investissements publics dans ces deux secteurs.  Quant à l’éducation supérieure, l’Iran est classé 2e parmi tous les pays islamiques.

VALORISATION DU TRAVAIL COUPLE AVEC DES PARTENARIATS PRODUCTIFS

 

Un état d’esprit positif et des investissements appropriés dans l’éducation ont servi de catalyseurs pour booster la vision stratégique du développement à long terme et la traduire en une réalité palpable. Les résultats sont concrets et les efforts se poursuivent. L’Iran s’ouvre de plus en plus sur le monde et  l’Afrique est désormais dans son champ de mire pour un transfert de compétence et de technologie.

Le travail est valorisé à travers la mise à disposition des différents secteurs de l’économie de moyens importants en investissements conséquents, productifs et réguliers. L’ouverture à l’extérieur a surtout visé le transfert du know-how faire et la formation des compétences locales.

Des mesures incitatives et des protections attrayantes ont été mises en place pour encourager les partenariats productifs. Un fait notable, depuis les années 1975, et de façon ininterrompue, l’Allemagne (Mercedes), la France (Peugeot et Renault) et l’Italie disposent d’usines de montages automobiles pour le marché local et l’exportation vers l’Asie et les anciennes républiques soviétiques.  Ces chaînes de montage de véhicules se sont installées sous le Shah. Elles ont été maintenues et protégées sous la République islamique. L’Iran fabrique aujourd’hui ces propres engins de Bâtiments et travaux publics (BTP), ses engins nécessaires dans l’industrie extractive et ses véhicules utilitaires.  L’Iran s’ouvre de façon plus agressive à l’extérieur. Les Chinois y sont actuellement très actifs dans la construction d’usines pour la fabrication de véhicules électriques, les véhicules du futur. Tous les domaines sont affectés et encouragés à s’investir dans cette optique qui valorise les ressources humaines nationales et donne lieu à un transfert des technologies et du savoir-faire en général. Il s’agit d’investir et de faire évoluer à la fois le “soft” (la formation, les processes, les méthodes et les approches, etc.) et le “hard” (installation en jumelage d’industries étrangères, création d’industrie de pointe avec les nationaux, etc).  Le BTP est quasiment dans les mains des Iraniens eux-mêmes, ainsi que l’agriculture. En 2023, l’Iran a connu un boom dans le tourisme médical grâce à la qualité de ses infrastructures de santé et de son industrie pharmaceutique. Les infrastructures routières sont en bon état de fonctionnement et l’aéroport de Téhéran est l’un des plus modernes à ce jour.

LEÇONS A TIRER

 

Le modèle iranien n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Il mérite cependant notre attention parce qu’il se déroule dans un contexte très singulier. En effet, il se développe sous embargo alors que tous les facteurs lui sont apparemment défavorables.

La leçon majeure est d’abord l’acceptation d’un nouveau paradigme, une attitude dont le prérequis est le changement de mindset. Le socle de la résilience iranienne est un mindset fort, voulu et orienté vers un modèle de développement non fondé sur de l’ancien. Mais, bâti sur un consensus national autour d’une vision bien articulée, des objectifs clairs et précis, le tout dans le cadre d’une stratégie réaliste. Un modèle qui favorise la remise en cause quand c’est nécessaire ainsi que les ajustements ou corrections essentielles au modèle pour avancer.

Le modèle iranien enseigne l’importance d’un capital humain consciemment constitué, formé, orienté et proprement entretenu. Les avancées notées en sont à ce prix. L’éducation et la santé doivent donc être les premiers leviers d’une économie en phase ascendante de développement.

Je retiens enfin que l’autarcie n’est pas une stratégie gagnante, elle est source de stagnation, dans le meilleur des cas. Mais, il est aussi vrai qu’un pays doit se centrer sur ses ressources internes d’abord, créer et capitaliser sur ses avantages compétitifs, chercher à les valoriser afin d’en faire les instruments de sa diplomatie économique. Son “soft power” en quelque sorte! C’est, dans ce cas, en toute connaissance de cause que l’économie s’ouvre sur l’extérieur. Cela doit se faire de façon stratégique avec des partenariats bien choisis qui valorisent le contenu local et favorisent l’acquisition et le transfert du know-how. C’est ce que l’Iran fait. Construire avec les moyens à sa disposition un système national qui le rend systématiquement capable du meilleur. Ensuite exporter ses compétences dans des partenariats bénéfiques à tous.